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De l'espace pour l'école de la réussite (Projet EPER)

La localisation crée-t-elle des prédispositions à l’échec ou à la réussite scolaire ?

La localisation peut concerner la résidence de l’élève, l’établissement, la relation entre ces deux lieux, l’ensemble de la spatialité de l’élève, un espace local incluant élèves, établissements et vie sociale quotidienne, des espaces élargis accessibles par une mobilité moins fréquente. C’est en abordant ces différents éléments qu’on peut espérer répondre à cette question avec la complexité voulue, et notamment en prenant en considération les espaces à faible densité et les situations d’isolement qui constituent le point de départ du questionnement.

Jusqu’à quel point ces configurations peuvent constituer un handicap pour la réussite scolaire des élèves ? Telle est l’interrogation à laquelle il nous a été demandé de répondre aussi précisément que possible.

Quels horizons pour l’action publique ?

En quoi cette recherche peut-elle être utile à la décision publique en matière d’éducation ? Les pistes suivantes méritent à notre avis d’être explorées.

Capital spatial.

La première conséquence pratique que pourraient appeler ces résultats serait de tenir compte plus explicitement de la dimension spatiale de la politique publique d’éducation et notamment de la force explicative du capital spatial des élèves et des lieux. Cela pourrait se traduire notamment par de nouvelles pistes de collecte de données quantitatives et qualitatives et d’analyse statistique. Cela pourrait donner lieu à une série d’enquêtes par panels suffisamment consistant pour permettre de quantifier les profils et les typologies que nous avons identifiés grâce à nos entretiens.

Système d’acteurs.

Au-delà, c’est le caractère systémique de la relation du monde de l’éducation aux lieux, aux territoires et aux réseaux qu’il faudrait explorer pour la comprendre davantage. L’offre fournie par le service public national d’éducation n’est qu’une pierre, certes essentielle, de l’édifice. Réfléchir, comme nous l’avons fait, en termes d’acteurs conduit à placer au-devant de la scène les familles et les élèves, sans oublier les gouvernements locaux et régionaux et à s’interroger sur les meilleures conditions à réunir pour que tous ces acteurs concourent à coproduire le bien public Éducation.

Géographies prioritaires.

Cela pourrait conduire à repenser les désormais classiques géographies prioritaires et notamment remettre en cause la notion même de zonage, qui s’applique à la fois à la « carte scolaire » et aux « réseaux d’éducation prioritaire ». Celle-ci démontre chaque jour ses limites. Dans sa conception même elle appartient à l’imaginaire du micro-management technocratique consistant à faire intervenir lourdement à une échelle infra-locale le gouvernement central sans prendre en compte les points de vue des habitants. En outre, la politique fondée sur le zonage qui a pour fondement le projet de déployer une politique différenciée visant à rétablir une égalité mise à mal, ne peut agir, pour atteindre cet objectif qu’à la marge. En l’état (même si la tendance récente montre une progression des ressources disponibles), cette politique touche de manière seulement périphérique le fonctionnement du système, elle peine à englober le recrutement et les rémunérations des personnels, le niveau de service offert par les établissements scolaires et la gouvernance de ces établissements. Le zonage entre en fait en collision avec une méthode qui a fait ses preuves ailleurs pour atteindre davantage d’égalité : rendre possible le développement endogène du système éducatif. Celui-ci devant logiquement avoir pour noyau fondamental l’établissement, avec une équipe éducative composée autour de la mission de concevoir et de mettre en œuvre un projet ambitieux, limité dans le temps, incluant ses effets systémiques sur le développement local dans son ensemble et évaluable par des instances indépendantes. C’est dans ce cadre que tout établissement scolaire pourrait demander des concours financiers publics pour autant que. Un lycée qui ferait tout pour faire progresser les élèves qui le fréquentent au point de se rendre attractif à la population scolaire dans un espace élargi et de contribuer à la mixité sociale environnante pourrait obtenir un soutien substantiel. Inversement, un établissement qui se contenterait de sélectionner de bons élèves en se souciant ni de progression, ni d’accueil devrait s’en tenir à un financement standard.

Sur le pont.

Ce que montre en tout cas cette recherche, c’est que, face à la lourde accumulation de poches d’échec scolaire dans certaines parties du territoire, l’inversion de tendance appelle une réforme de grande échelle ayant pour effet escompté de mettre tout le monde sur le pont, avec les motivations, le cadre de travail et les dispositifs d’interaction collaborative requis pour y parvenir.

« Territoires abandonnés ».

L’éducation nationale fait le job dans les campagnes. Ce constat prend toute sa valeur quand on le confronte à une autre, celui que le système éducatif et plus généralement l’État national non seulement ne diminue pas les inégalités mais les aggravent par leur action dans les situations d’échec scolaire massivement concentrées dans les quartiers populaires des grandes villes. En allant systématiquement à la rencontre des lieux les plus désertiques de la « Diagonale du vide » situés dans l’Académie de Reims, nous avons partout constaté une offre d’éducation cohérente et consistante, y compris dans bourgs les plus petits et les villages et les et les plus isolés. Nous aboutissons à la confirmation pour l’éducation d’un phénomène plus large : ceux qui abandonnent les campagnes les plus éloignées des villes, ce sont d’abord les habitants et non les services publics.

L’idée qu’il y aurait des territoires scolaires « abandonnés » ou « oubliés » par l’État ne rencontre aucune validation empirique. Ces thèses se trouvaient déjà démenties par de nombreuses études, mais de nombreux médias, y compris publics, ne se privent pas de les diffuser. Notre recherche en confirme l’inexactitude en matière d’éducation Un travail d’information des citoyens s’avère ici nécessaire, ne serait-ce que pour pouvoir lancer une réflexion de qualité sur le sujet.

Justice spatiale.

On ne voit pas ce que pourrait faire l’État pour combler une déprise systémique dans laquelle l’éducation n’est pas fautive puisque les résultats sont dans ces espaces aussi bons qu’ailleurs mais qui, cependant, rend les effets de l’échec scolaire particulièrement implacables faute de ressources culturelles complémentaires alentour. Faut-il punir les élèves pour les choix ou les non-choix de leurs parents ? Faut-il considérer que le faible éventail d’opportunités qui est leur lot tant qu’ils restent dans ces lieux relève de la seule liberté pour les adultes d’imposer leurs modes de vie à leurs enfants ou doit-on imaginer un dialogue ouvert mais dans lequel la société dans son ensemble, à travers les politiques publiques d’éducation, dise son mot ? Faut-il dépenser l’argent public pour maintenir sous perfusion éducative les gradients 12 et 13 ou au contraire permettre aux élèves, grâce à leur mobilité, de découvrir et de s’approprier des environnements riches de potentialités ? Cette question n’est pas triviale car elle met en tension deux objectifs légitimes : d’un côté, permettre à chaque citoyen de mener sa vie comme il l’entend pour autant que cela n’entrave pas cette même liberté pour autrui ; de l’autre, assurer à tout habitant, où qu’il vive une formation initiale génératrice de capacités suffisantes pour lui permettre de disposer du droit effectif d’opérer des choix stratégiques d’échelle biographique.

Débat public.

Dans le périurbain, l’augmentation tendancielle de la population scolaire et la proximité de réseaux éducatifs denses permet de rendre peu probable la perte de substance de l’offre d’éducation. En revanche, le problème pourrait se poser dans les gradients d’urbanité les plus bas (12 et 13), qui représentent moins de 2% de la population scolaire. La question reste de savoir si la société joue son rôle en contribuant à fixer des jeunes dans des lieux qui leur apportent peu de ressources pour la création de capacités en phase avec le monde contemporain et pour l’auto-construction d’une personnalité autonome. La réflexion sur l’internat, qui a commencé dans la société, se confirme à l’issue de cette recherche comme une piste prometteuse. En tout état de cause, un débat public approfondi et ouvert sur la justice spatiale en matière d’éducation, réunissant les citoyens et les parties prenantes, s’impose sans tarder.

De l’école de l’érudition à l’école de la capacitation.

Les enjeux de géographie scolaire constituent une clé d’entrée essentielle dans un problème encore plus général : à quoi voulons que l’école serve ? L’évaluation réflexive des acteurs du système scolaire et des gouvernements qui les orientent et les financent – un processus auquel cette recherche participe – avance utilement et le retard français à cet égard tend à être comblé. Cependant, ce qu’on mesure surtout, c’est la performance scolaire, qui fait boucle avec les choix d’objectifs et les pratiques conduites pour les atteindre. Or si l’école ne servait qu’à obtenir de bons résultats... à l’école, à quoi serait-elle utile sinon à elle-même ?

Reconnaissons que le déplacement progressif de la préoccupation, à propos des programmes scolaires, des « savoirs » vers les « compétences » représente un vrai progrès allant dans le sens de l’insertion des missions du système scolaire dans un projet de société plus global. Il reste cependant un écart significatif dans le processus d’évaluation entre l’identification des objectifs d’enseignement et l’appropriation opérationnelle qu’auront capitalisée les élèves lorsqu’ils auront terminé leur parcours scolaire initial. Il faudrait pouvoir aller au-delà de la seule mesure des résultats aux examens et porter l’enquête sur les effets non scolaires de l’éducation, en matière de capacités sociales, notamment cognitives, éthiques et affectives, de l’agir scolaire. Lorsque l’école visait seulement à distribuer la nouvelle génération dans des catégories sociales à peine décalées de celles où était répartie la précédente, l’érudition pouvait servir d’indicateur pratique relativement efficace. Aujourd’hui, il existe un large consensus pour attribuer à l’école la fonction d’aider chacun à disposer d’un maximum de capacités afin que sa liberté de choix de travail et de vie soit aussi pleine et aussi effective que possible. Le consensus porte également sur l’idée que, de cette nouvelle orientation, la société dans son ensemble a tout à gagner. Il faut donc aussi porter l’évaluation scolaire hors de l’école et mesurer l’efficacité du « produit » scolaire dans la vie concrète des individus. Les capacités coproduites au sein de l’école doivent pouvoir être tracées bien au-delà, dans chaque situation où leurs bénéficiaires ont l’occasion de les mettre en œuvre.

L’équipe EPER (De l’espace pour l’école de la réussite) a été réunie au sein du rhizome. Elle comprend Dr. Shin Koseki, Prof. Jacques Lévy et Dr. Irene Sartoretti.

Ont également apporté leur concours à ce projet Isabelle Hennion, Dr. Sylvie Joublot-Ferré, Prof. Olivier Lazzarotti, Philippe Petit et l’équipe d’enseignants réunie autour des DASEN Jérôme Damblant et Emmanuel Liandier.

Cette recherche a bénéficié du soutien multiforme de la Rectrice Hélène Insel, et de ses collaborateurs au Rectorat de Reims, en particulier de Benoît Roger, d’Elza van de Vijver, de David Bates et d’Isabelle Bleuze. Elle n’aurait pas été possible sans le concours bienveillant de la Directrice de la DEPP Fabienne Rosenwald et de ses collaborateurs.

Ariane Azéma, IGENSR, et Prof. Pierre Mathiot, chargés de la mission Territoires et réussite ont apporté leurs précieux éclairages.