Canicules

Jacques Lévy propose une réflexion en trois temps sur les récentes canicules, loin des idées toutes faites.

Canicules 1 : s'hydrater et comparer

La canicule d’août a battu des records dans le sud de la France. Au-delà des températures, l’un de ces records porte sur la propension de certains médias à asséner des énoncés absolus en écartant toute comparaison, celle-ci constituant le premier degré de la pensée réflexive. Le tableau ci-dessous permet de confronter, de manière simplifiée, les différentes régions climatiques (ici/ailleurs) et les différentes situations thermiques (froid/chaud) du point de vue du bien-être des habitants et de l’impact énergétique et climatique.


Canicules 2 : observer comment ça se passe ailleurs

Ici/ailleurs

Dans l’ensemble, les régions méditerranéennes ont des maxima journaliers qui dépassent les 30° pendant 70 à 130 jours par an. Ce sont des lieux où beaucoup de gens aiment aller en vacances justement à ce moment-là, certes souvent pour aller à la plage, mais pas seulement. Les grandes villes méditerranéennes (comme Séville, Barcelone, Rome, Venise ou Athènes) figurent parmi les destinations les plus recherchées en été.

Dans la zone intertropicale, ces températures sont banales toute l’année. Retenir un maximum journalier de 30° comme seuil de « vague de chaleur » suppose que les habitants de Singapour vivent dans l’enfer climatique puisque dans cette ville, il fait à peu près tous les jours de l’année 30° ou plus, et avec un taux d’humidité autrement plus fort qu’en Europe de l’Ouest. Qu’en pensent les 7 millions de résidents et les 16 millions de visiteurs annuels, qui semblent trouver (l’indice de développement humain, meilleur que celui de la France, le suggère) que c’est plutôt un endroit où il fait bon vivre.

L’idée que, à part les Français, tout le monde est ignorant ou bête nous a déjà souvent coûté cher. Et si nous prenions au sérieux les autres habitants du Monde ?


Canicules 3 : garder froide au moins la tête

Froid/chaud

À l’exception des régions les plus chaudes du globe, les climats à venir ressembleront beaucoup à des climats existant ailleurs. Les effets du réchauffement en termes de confort (hivers plus doux, étés plus chauds) ne sont pas univoques La fusion des pergélisols arctiques n’est pas une bonne nouvelle pour le climat planétaire mais elle en est une pour le Groenland, qui pourra commencer à produire de la nourriture sur place.

La France océanique, où vit 80 % de la population, avec Paris en son milieu (moyenne 1991-2020 des maxima 16,5°C ; des minima 9,2°C), se trouve les trois quarts du temps dans la partie basse du tableau (catégories VI et VII), alors que tout le monde préfère les situations IV et V. Le chauffage y fonctionne en moyenne 200 jours par an, tandis que, même avec le réchauffement actuel, les périodes où la climatisation est requise (>30° le jour ou > 20° la nuit) sont en moyenne de 10 jours par an et, dans les prévisions les plus pessimistes, ne dépasseraient pas 45 jours en 2100.

Pendant un siècle le bois et le charbon de chauffage ont, outre leurs émissions de CO2, engendré un énorme problème de santé publique par leur pollution : CO, ozone, Nox, smog. Personne heureusement n’a demandé aux gens de mourir de froid pour les éviter. En revanche, s’il y a 2,3 milliards de climatiseurs dans le Monde (5,5 milliards prévus en 2050), cela reste un tabou en France et une composante de la culpabilisation comme technique politique. Certains bricolent, la mort dans l’âme, des dispositifs couteux et peu efficaces. Tout le monde est perdant.

La climatisation pose, c’est vrai, des problèmes :un coût en énergie (électrique, donc décarbonnable ; coût limité par l’isolation des bâtiments et l’usage de pompes à chaleur réversibles, bonnes pour l’électrification du chauffage) ; une fuite potentielle de gaz réfrigérants (un risque atténué par les nouveaux matériels et à la règlementation) ;le réchauffement de l’air extérieur (mais c’est surtout la nuit que l’accès à la climatisation est décisif pour la santé des habitants ; effet maîtrisable avec des réseaux de froid urbain qui ne desserviraient pas seulement les bureaux et les commerces mais aussi les logements et les écoles).

Même en temps de canicule, gardons la tête froide !

Éthique écologique

Le changement climatique, c’est un changement, dans l’ensemble négatif mais aussi un changement tout court.  Il ne faut donc pas confondre impact nocif et évolution des habitudes. C’est pourtant ce qu’ont tendance à faire certains, dans une « pédagogie » contre-productive qui fait flèche de tout bois. Concentrons-nous sur l’essentiel, qui appelle une réponse déterminée et jusqu’ici très insuffisante : la décarbonation des mobilités et de l’agriculture. L’éthique écologique, c’est faire du climat une question scientifique et un enjeu politique, sans se laisser intimider par une morale tout bêtement réactionnaire.

Emilie Gallardo